Quand le froid devient une classe : le jeu libre comme moteur d’apprentissage

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Au Yukon, aux Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, l’hiver façonne la vie quotidienne. Pour les personnes éducatrices, sortir dehors n’est pas une simple activité, mais un acte d’éducation enraciné dans la réalité nordique. Au Collège Nordique, à Yellowknife, cette vision guide la formation en éducation à la petite enfance : comprendre le Nord, c’est aussi apprendre avec le Nord. 

Les recherches canadiennes et internationales convergent : le jeu libre extérieur, même par temps froid, est un levier essentiel du développement global de l’enfant. Il soutient la motricité, la confiance, la régulation émotionnelle et la santé physique, autant de compétences fondamentales dans les premières années de vie (Lee et al., 2025; World Health Organization, 2020). 

Les bienfaits du dehors, même sous zéro 

  • Bouger plus, mieux et plus souvent 
    Selon la Société canadienne de pédiatrie (2024), les enfants qui jouent dehors sont plus actifs, développent une meilleure coordination et présentent une santé cardiovasculaire supérieure à ceux qui passent leurs journées à l’intérieur. 
  • Renforcer la résilience émotionnelle 
    Les jeux à défis comme glisser sur une pente enneigée, grimper sur une butte ou encore explorer un sentier gelé stimulent la confiance et la prise de décision. Ces expériences encadrées par les adultes favorisent la régulation émotionnelle et réduisent l’anxiété (Sando & Sandseter, 2023). 
  • Créer un lien durable avec le territoire 
    Le jeu extérieur en contexte nordique dépasse la simple activité physique : il est porteur d’identité et de culture. Observer des traces d’animaux, découvrir la neige et le givre, ou écouter des récits liés au territoire deviennent des portes d’entrée vers une pédagogie enracinée, où apprendre se conjugue avec appartenir. 

Trois territoires, une réalité similaire : apprendre avec le froid 

Au Yukon 

Les personnes éducatrices s’inspirent des pédagogies « terre-ancrées » (land-based education), qui considèrent le territoire comme premier enseignant. D’ailleurs, les personnes éducatrices du Yukon bénéficient déjà d’un cadre concret grâce au Guide de l’école de la forêt – Commission scolaire francophone du Yukon (CSFY). En effet, ce document à l’intention des parents présente la philosophie de l’école de la forêt, une approche éducative axée sur le jeu libre, la curiosité et la connexion avec la nature. Ce modèle encourage les enfants à apprendre par l’exploration et la découverte du territoire, tout en respectant leur rythme et leur sécurité. 

Aux Territoires du Nord-Ouest 

À Yellowknife, le Collège Nordique accompagne les personnes éducatrices à adapter la pédagogie aux réalités nordiques : journées courtes, froid intense, vent, isolement. Les formations mettent l’accent sur la planification sécuritaire, la gestion du risque bénéfique et l’intégration du jeu libre dans le quotidien. Les éducatrices et éducateurs y apprennent à transformer les contraintes climatiques en occasions d’apprentissage, par exemple en documentant les émotions ressenties dehors ou en observant la lumière changeante du jour ou encore des ressources pédagogiques inclusives. 

Au Nunavut 

Dans les communautés inuites, le lien à la terre est au cœur du développement de l’enfant. Selon Statistique Canada (2020), près de 40 % des enfants inuit de 2 à 5 ans jouent dehors chaque jour, même lorsque la température chute bien en dessous de zéro. Les personnes éducatrices s’appuient sur les traditions locales : raconter des légendes autour du vent, suivre les traces d’un lièvre arctique, observer les variations du ciel. Les conditions extrêmes exigent des sorties plus courtes mais plus fréquentes, une planification flexible et un souci constant de sécurité. Ces pratiques font du Nunavut un modèle d’adaptation pédagogique : enseigner par le territoire et pour le territoire. 

Le jeu libre à défis : apprendre à tomber pour mieux se relever 

Laisser l’enfant glisser, grimper ou explorer en sécurité, c’est lui permettre d’apprendre ses limites. La Société canadienne de pédiatrie (2024) rappelle que l’interdiction du risque limite souvent les occasions d’apprentissage. Au Nord, cette philosophie prend tout son sens : le terrain est inégal, la météo changeante, mais c’est précisément dans cette complexité que les enfants développent la prudence, la coopération et la confiance en soi.  

Défis nordiques et adaptations éducatives 

  • Froid intense et vent arctique : planifier des micro-sorties de 10 à 15 minutes, suivies de périodes de réchauffement intérieur. 
  • Journées courtes : tirer parti des heures de lumière du jour avec des sorties opportunes. 
  • Accès limité à l’équipement : créer des banques de vêtements communautaires et encourager les dons. 
  • Terrains accidentés : offrir des zones de jeu à défis naturels, sécurisées mais stimulantes. 
  • Diversité culturelle : intégrer les savoirs autochtones et francophones, et valoriser le bilinguisme dans les interactions éducatives. 

Une pédagogie du Nord 

L’approche du Collège Nordique s’inscrit dans un mouvement pancanadien soutenu par des partenaires comme la Lawson Foundation, les gouvernements territoriaux et les établissements d’enseignement postsecondaires du Nord. Objectif : développer des formations enracinées dans le territoire et une pédagogie adaptée aux conditions du Nord. 

Le jeu libre dehors devient ainsi un outil triple : 

  • Pédagogique, parce qu’il soutient la curiosité et la motricité; 
  • Culturel, parce qu’il relie l’enfant à son environnement; 
  • Communautaire, parce qu’il favorise le bien-être collectif et l’ancrage identitaire dans le Nord canadien. 

En résumé 

Dans le Nord canadien, le froid n’est pas un obstacle : c’est une matière première pour apprendre, grandir et s’épanouir. 

Et à Yellowknife, le Collège Nordique en fait un pilier de sa formation : former des personnes éducatrices capables d’enseigner le Nord, dans le Nord et pour le Nord. 

Références 

 Publié le 29 octobre 2025